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S’approcher du sacré feu sans se bruler. En cueillir nues mains une étincelle et la déplacer pour créer une nouvelle flamme, ancienne en meme temps. Pour peindre Majakovskij, pour graver Majakovskij, il faut du courage. Pas seulement parce que aborder un Titan de la poésie c’est toujours entreprise ardue, ça suppose une infinie sensibilité et expose en tout cas au risque de réduire la fertilité des poèmes, son allusif et fuyant polysémie à l’univoque évidence du signe.
Aborder Majakovskij c’est un défi particulièrment complexe parce que le géorgien non « seulement » fut un poète mais encore il eut une solide formation d’artiste visuel. Exactement grace à cette double nature créatrice il est parvenu à élever la température de sa poésie jusqu’à toucher le point de fusion entre vers et image. Une entreprise dans laquelle l’intense et pressant, parfois débordant recours au trope de la méthaphore fut fondamental : la plus éclatante parmi les solutions formelles à sa disposition, peut-etre.
Mais la recherche du Graal de l’union entre peinture et poésie surement ne fut pas sa seule inquiétude, rongé comme il était par une urgence expressive, ne lui eut permis un isolement parnassien ni eut donné de la place à des exténués expérimentations sinesthétiques.
Exigences très éloignés de sa nature romantiquement subversive, nihilistement révolutionnaire, capable d’une immense candeur et de rages acharnées.
Son ami David Burliuk, père de la peinture avant-gardiste russe le définit : « jeune insolent et à l’allure d’un ironique apache »
Majakovskij : un homme capable de rever une vie sans fin et en meme temps de courtiser la mort, avant de l’embrasser volontairement le 14 avril 1930, à moins de 37 ans d’age.
Transposer en forme et couleur une poésie qui déjà c’est une image, en plus image ardente, créée par un génie tragique, implique le danger de devenir didactique, de s’échouer sur des tautologies stériles.
Pour peindre et graver « Le nuage en pantalon » , pour se mesurer bien deux fois avec ce poème, après plus de vingt ans , le courage ne suffit pas. Parce que « Le nuage en pantalon » c’est l’oeuvre qui mieux témoigne de l’anxiété visionnaire de Majakovskij, la plus proche ( meme chronologiquement) de sa formation artistique et au meme temps l’oeuvre la plus libre et ingénue, très loin des censures et autocensures de la lourde epoque stalinienne. Une composition fille des enthousiasmes et de l’exaspérée sensibilité d’un poète de presque vingt ans, qui fait face aux bouleversements du coeur et de l’histoire.
Heureusement aujourd’hui comme dans les années quatre vingts Carmen c’est une artiste douée d’une saine veine d’inconscience. Qualité indispensable pour essayer de danser sur le fil que Majakovskij a tendu à hauteur vertigineuse, entre le sommet de la passion et le monde hyperurane de l’éversion lyriqye.
Beaucoup des choses ont changées au cours des vingt dernières années et plus : à partir d’une huile très diluée sur des cartons légers de grand format avec des effets presque d’aquarelle, Carmen est passé à la gravure. Elle a marié les longs temps d’une tecnique pour laquelle il faut de la patience et du laborieux « labor limae » , dépassand l’approche rapide et émotive de son « premier » Majakovskij. L’amour foudroyant à l’égard du poète, une passion qui n’accordait pas de place à l’attente (au point de ne se tenir pas dans les limites de « Le nuage en pantalon » pour courir au moins deux fois envers « L’enfer de la ville » et « De cela » ), s’est transformé en un amour plus mesuré et conscient .
Et pourtant, meme en face de ces éléments de discontinuité, en comparant le premier »corpus » avec celui le plus récent, on peut voir au moins troix persistentes analogies. La première concerne l’importance des effets chromatiques : évidents dans les peintures, ils le sont paradoxalement meme dans les gravures, meme quand le linoleum supplante la plaque de métal. La nature principalement grafique de la gravure est compensée parfois par le recours aux acides, parfois aux encres qui brisent la dictature du noir.
La deuxième caractéristique commune est plutot à voir dans les vers choisis comme source d’inspiration : le prédilection de l’artiste est toujours pour les métaphores et les similitudes les plus intenses. Ce n’est pas par hasard qu’elle ait fait retour bien deux fois aux memes passages particulierement inquiétants(1). Et c’est intéressant voir comme, dans les deux moments Carmen ait privilégié des vers qui présentent des allusions plus ou moins explicites à l’univers de la couleur(2)
Interet constant dans les deux blocs de travail c’est ensuite la fidélité du texte. Ce qui ne signifie pas évidemment une passive translitération à l’image. Ca signifie plutot une soigneuse recherche des correspondences entre les situations représentées et les émotions évoquées par les vers d’un coté, de l’autre de l’interprétation du sujet.
Consciente du facteur en soi imagé sous-tendu aux vers de Majakovskij, l’artiste s’approche du « Nuage en pantalon » avec beaucoup de respect. Elle se laisse séduire et conduire par l’ouvrage mais elle n’annulle jamais sa personnalité que les solutions iconographiques adoptées bien laissent transparaitre.
Ca suffit de penser à la répétitions des sujets de la nuit et de la fenetre, aussi dans les peintures que dans les gravures : deux thèmes riches en valeurs symboliques parfaitement harmonisables dans son oeuvre, toujours attentive au sens spirituel du signe, à la recherche des points de contact entre facteurs différents, entre b »dedans » et « dehors », matière et esprit, ténèbres et lumière.
Cependant, alors que dans le corpus des peintures à l’huile des années quatre vingts, presque monolitique, la fidélité du texte se traduit par une forte cohérence intérieure de la peinture, derrière les travaux les plus récents on devine une personne plus évoluée et sure de lui.
Dans les dernières gravures Carmen se révéle prete au risque d’une rélative dishomogénéité stylistique pour explorer jusqu’au bout chaque nuance des vers.
L’alternance du linoleum et de la plaque de métal détermine une solution inévitable de la continuité formelle, tout à fait compensée par le fil rouge de la cohérence spirituelle.
Cohérence qui ne vient pas seulement par le fait que le texte de Majakovskij est bien situé mais par la personalité de l’artiste aussi, aujourd’hui bien au gré de donner voix aux éléments de sa poétique meme par choix stylistiques diffèrents.
Triangles et hemicycles, points et lignes droites. Signes simples et essentiels: les bases de la géométrie, de la définition de l’espace. Des formes que l’homme a compris comme les plus convenables pour condenser l’infinité des phénomènes visibles dans un nombre limité de modèles rationnels, mais qui, avec les siècles qui passent, sont parvenues à ne plus être seulement instruments de représentation et de mesure.
Elles ont acquis un sens autonome, au-delà de la contingence des données naturelles. Elles ont atteint la perfection, elles ont saisi le sceptre de la signification absolue, elles se sont emparé de la couronne de la valeur spirituelle : l’étoile de David et les mystiques diagrammes des Yantras, le triangle, symbole chrétien de Dieu, et le cercle, emblème de perfection pour les islamiques. Et encore les méditations des cabalistes et des alchimistes qui donnent des valeurs ésotériques aux nombres et aux polygones.
Des éléments géométriques auxquels même pas l’Art du ‘900 n’a pas été insensible.
Au contraire, elle les a transformés en point final de la peinture abstraite ou au moins d’une de ses principales déclinaisons. Abstraction géométrique, extrême rigueur : point, ligne, surface.
Néanmoins, c’est au cours du ‘900 que le fil qui liait l’objet à sa synthèse géométrique, la géométrie au symbole et le symbole à l’esprit a commencé a s’épuiser avec une impressionante rapidité.
Les intentions lyriques qui avaient animé Kandinsky, Malevitch et Mondrian ont cédé le pas aux enivrants patterns de la op-art; elles ont été touchées au coeur par les arêtes vives du minimalisme.
En art, la géométrie est devenue auto-signifiante et auto-affirmative, glaciale et monosémique.
Chercher à renouer ce fil virtuel est la raison d’être de ces oeuvres de Carmen Boccu.
Avec sa passion pour le Shivaisme du Cachemire et pour la cosmographie hindouiste, avec le goût raffiné du dessin, de la couleur et de la composition des formes, Carmen Boccu accepte la fragilité et l’imprécision parce que ses formes tracées à la main et les étalements chromatiques ne connaissent pas l’arrogance de la perfection.
Reconnaitre la faillibilité de la main, la fragilité du trait de crayon signifie accepter la vie : l’erreur, le soudain changement, la finesse d’un signe qui pourrait se faire différent ou directement disparaitre d’un moment à l’autre.
Tout ça équivaut à chercher un ordre, une signification en ce qui existe, tout en gardant toujours une porte ouverte sur le Chaos qui est la source primordiale de l’existence.
Les oeuvres de Carmen Boccu sont dominées par des géométries mystiques, le trident de Siva, l’oeuf cosmique, l’arc et la flèche, qui ne se présentent pas d’une façon absolue et univoque, mais se laissent aussi lire comme des géométries ludiques.
Ludiques dans le sens le plus noble du terme, comme le sont les oeuvres de Paul Klee.
Elles font preuve du plaisir de l’artiste à les dessiner, et s’ouvrent au plaisir du spectateur. Même celui qui n’a jamais entendu parler du Sivaïsme peut jouer à “sentir” les sujets, à tracer des interprétations qui naissent de son vécu, de sa culture, de son inconscient : des lignes qui peuvent être des boucliers et des cornes, des serpents ou des symboles érotiques. On prête son attention à la peinture et on cherche de la décoder, sachant que chaque hypothèse est fragile comme le papier sur lequel Carmen a travaillé, légère comme la touche de l’artiste, légitime comme le droit de jouer et s’émouvoir.
C’est une peinture qui nait d’une pensée complexe et d’une vision bien définie du monde mais qui a l’humilité de ne pas imposer une seule clef de lecture. On peut dire la même chose pour l’ensemble des oeuvres de cette artiste qui ne se limite pas à peindre mais qui, aussi, “joue” avec la gravure, en maitrisant des techniques complexes comme la manière noire.
Et, elle modèle l’argile et le plâtre, par lesquels elle donne vie à des sculptures très évocatrices.
Là, aussi, des formes simples, des vases, des masques, des barques, des coupes qui contiennent le temps, comme dans la tradition indienne, tout en bien sachant que le temps, pour l’homme, est fait de souvenirs et d’imagination, d’angoisses et de rêves et que toutes les émotions finissent par s’équilibrer .
Voici pourquoi Carmen au-dessus des vases, va souvent poser un masque, un visage aux yeux fermés, en paix avec soi-même et le cosmos.
Roberto Mottadelli